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Le gouvernement a caché des informations aux députés - Article Le Monde 21 octobre 2004
vendredi 22 octobre 2004
Le nouveau réacteur nucléaire EPR sera implanté dans le département de la Manche.
Le débat sur l’énergie a eu lieu sans que l’avis de l’Autorité de sûreté soit connu du Parlement.
Alain schmitt, directeur adjoint à la DGSRN (direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, le service du ministère de l’industrie qui joue le rôle de gendarme du nucléaire), l’indique clairement : "Le gouvernement voulait que l’examen de la loi au Parlement ait lieu avant que nous publiions notre prise de position." Ainsi, la position prise par la DGSRN sur la sûreté d’un nouveau réacteur EPR a été cachée aux députés qui examinaient, au printemps, le projet de loi sur l’énergie. Un des principaux sujets de cette loi était le lancement du réacteur EPR. La DGSRN connaissait depuis plusieurs mois les questions de sûreté qui se posent sur ce réacteur, et qu’elle a exprimées dans une lettre, finalement envoyée le 28 septembre à EDF - bien après le débat.
Tout en donnant une approbation générale - "Les options de sûreté satisfont globalement à l’objectif d’amélioration générale de la sûreté" -, la DGSRN souligne plusieurs points techniques importants qui "feront l’objet d’une attention particulière". La note est accompagnée d’un document de 80 pages, établi en octobre 2000, qui fait une revue des questions techniques que suscite l’EPR.
On confirme au cabinet du ministère de l’écologie la volonté de ne pas fournir ces éléments aux parlementaires : "On s’est posé la question au printemps, indique un conseiller de M. Lepeltier. On s’est mis d’accord avec le ministère de l’industrie qu’on ne souhaitait pas envoyer la lettre -de la DGSRN- avant que les députés se prononcent sur la loi d’orientation."
Pour Yves Cochet, député (Verts) de Paris, "l’EPR était présenté par les ministres comme plus sûr qu’un réacteur classique. Mais nous n’avions pas d’éléments techniques pour juger de cette affirmation. S’il y a des questions à se poser, il aurait été utile de le savoir au moment des débats."
La discussion parlementaire s’est déroulée en mai sans que les députés aient d’autres éléments techniques sur le réacteur que des éléments généraux et tous favorables. Le "débat sur l’énergie", qu’avait lancé en 2003 la ministre de l’industrie d’alors, Nicole Fontaine, avait été mené sans dossier précis sur l’EPR. Or le document que publie la DGSRN avait été établi en octobre 2000 lors de l’assemblée plénière du groupe permanent d’experts sur les réacteurs.
RÉVÉLATION TARDIVE
Il aurait été utile au public intéressé de les connaître. Monique Séné, du GSIEN (Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire), vient de le découvrir. "Je n’avais jamais vu quelque chose d’aussi précis sur l’EPR. Cela permet de connaître les questions techniques qui se posent sur ce projet", dit-elle.
Cette dissimulation du dossier technique de l’EPR est surprenante : le rapport de 2000 et la lettre de la DGSRN ne révèlent pas de fêlure grave dans le projet. "Il y a beaucoup de travail d’examen de plusieurs options techniques, dit Juhani Hyvaerinen, de l’Autorité de sûreté de Finlande (STUK), qui a commandé un EPR. C’est normal, cela arrive toujours avec un nouveau projet."
Les questions sur lesquelles les autorités françaises et finlandaises attendent de se prononcer concernent la prévention des erreurs humaines, un système de récupération du cur fondu, des dispositifs de sécurité en cas de rupture de tuyauterie, la fiabilité du logiciel de commande de l’EPR - il sera intégralement numérisé -, et la résistance du réacteur à la chute d’un avion de ligne. Ces questions ne semblent pas de nature à bloquer l’autorisation : "Le feu vert que nous devons donner en fin d’année pourrait en être retardé, dit M. Hyvaerinen, mais je ne pense pas que cela sera nécessaire."
La révélation tardive de ces questions alimente la critique des antinucléaires. Le Réseau Sortir du nucléaire publie ainsi un "Dossier noir de l’EPR" dans lequel il stigmatise "les tares rédhibitoires" du réacteur projeté.
Hervé Kempf