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Les « aléas » d’EDF sur son EPR à Flamanville - Article Usine Nouvelle

vendredi 19 décembre 2008

Le 11 décembre, Pierre Gadonneix invitait la presse à l’accompagner pour une visite du chantier du réacteur de nouvelle génération EPR de Flamanville. Diaporama, et retour sur les principales causes de retard et de surcoût de ce chantier gigantesque.
20% plus cher. C’est ce qu’a confirmé EDF le 4 décembre : la hausse du coût de construction de la centrale nucléaire de Flamanville, de 3,3 milliards à 4 milliards d’euros. Ce qui porterait le prix du MWh à 55 euros contre 46 euros prévus lors de l’annonce de la réalisation en mai 2006. Pour sa défense, l’électricien a tenu à rappeler que les constructeurs de centrales à gaz et au charbon ont vu leurs coûts augmenter de 55%.

C’est pour quand ?
EDF a répété que la mise en service de l’EPR de Flamanville devrait intervenir en 2012 - sans plus de précisions - malgré les "aléas" du chantier, et a défendu la compétitivité du nucléaire de nouvelle génération. Resque que les aléas sont nombreux.

Du rififi dans le béton armé
Les ferraillages, qui rendent le béton plus résistant, ont fait l’objet d’un bras de fer entre EDF et l’autorité de sûreté nucléaire. « Bouygues a des difficultés techniques pour faire les choses à la hauteur. EDF et l’ASN se sont montré souples, jusqu’au jour où la limite a été dépassée : le chantier a été interrompu en mai et l’ASN a mis EDF en demeure pour réorganiser les protocoles de contrôle. Depuis, les choses ont été réparées partiellement et restent perfectibles » résume Yannick Rousselet de Greenpeace. Une partie des travaux - notamment dans l’îlot nucléaire et la station de pompage - avait été ainsi été suspendue en mai et en juin à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en raison de problèmes principalement liés aux armatures de fer. L’ASN avait en particulier tiqué sur le radier, la dalle de béton qui vient se mettre juste sous le bâtiment réacteur : 60 barres d’acier manquaient sur les 6000 prévues dans le coulage de béton d’un des 4 systèmes de sûreté. L’électricien a dû revoir sa copie, et en rajouter une quarantaine a posteriori.

Un tunnelier pour la galerie marine
Autre souci : la galerie marine. Pour refroidir l’eau utilisée dans le réacteur en la rejetant plus loin dans la mer, un procédé aboutissant à un réchauffement de l’eau de la mer de 10 degrés dans un rayon de 50 mètres autour du point de rejet, il était prévu de creuser un puits vertical de 120 m de profondeur. Mais Vinci a mis deux fois plus de temps que prévu pour percer. « Vinci prétend que c’est à cause de la dureté du sol », explique Yannick Rousselet de Greenpeace. « C’est surprenant qu’une boîte comme Vinci qui connaît très bien le sol dise qu’elle se rend compte que ça va lui prendre un an au lieu de 6 mois et qu’il faut reboucher le puits ! » Finalement l’ouvrage pour rejoindre la mer sera achevé par un tunnelier (machine s’apparentant à une immense vis, en cours de construction), et non plus à la dynamite. Moins dangereux et plus rapide, ce choix modifie cependant la trajectoire de la galerie sous-marine : tandis que le tracé initial était rectiligne et en profondeur, le nouveau tracé est en arc de cercle, et plus en surface. « Ils ont dû reboucher une grande partie du puits et remplacer par une galerie sous terre. Ils vont faire un grand arc de cercle, à 30m de profondeur entre les tuyaux de rejet et le fond de la mer pour rejoindre le puits. » aquiesce Yannick Rousselet. La galerie contournera l’ancienne mine de fer située au large de la centrale, au lieu de passer en-dessous. Le « surcoût » par rapport au contrat initial (47 millions d’euros) sera entièrement pris en charge par EDF : il s’élève entre 40 et 45 millions d’euros. Et ce sera prêt fin 2009 : un retard phénoménal.

Du coup la plateforme qui devait connecter le diffuseur cubique (sorte d’énorme pommeau de douche pour diffuser l’eau chaude plus rapidement dans la mer) à la galerie verticale, est repartie mi-novembre. « De toute façon les conditions météo devenaient mauvaises », précise Yannick Rousselet. Elle aurait dû finir au printemps 2008, et continuera finalement l’année prochaine. En attendant, le diffuseur cubique reste sur le port de Cherbourg, sur les barges jusque mars-avril.

Difficulté supplémentaire : du point de vue légal l’enquête publique d’autorisation de l’espace maritime est très précise. « Dans la mesure où EDF a tout remis en cause, il faut retourner à l’enquête publique administrative : ça prendra au moins un an. » calcule Yannick Rousselet. Outre la nouvelle enquête publique (courant du printemps 2009), une nouvelle concession d’endigage va également devoir être mise en place.

Rouillé, le liner ?
Autre souci : le liner, c’est-à-dire la coque en métal prise en sandwich pour faire l’enceinte confinée du réacteur, semble avoir subi quelques "aléas". « Lorsque l’ASN a inspecté le liner, elle a trouvé un taux de malfaçon dans les soudures de 32%, alors que la moyenne est à 4% en général. On peut qualifier ça de bricolage. Or le liner est une pièce fondamentale » précise Yannick Rousselet. « En plus le fait d’avoir stocké le pré-assemblage près de la mer a créé des phénomènes de corrosion, créant des pertes d’épaisseur sur le liner ».

C’est l’entreprise Tissot à Bordeaux, qui s’est chargée de préassembler le liner. « Les pièces étaient non conformes, donc l’entreprise a dû faire des réparations sur des pièces neuves. » raconte Yannick Rousselet. « En plus, depuis novembre 2007, l’atelier pratiquait un soudage semi automatique. » Une méthode plus rapide et moins chère que le soudage automatique. Or le plan de charge validé par l’ASN concernait un soudage automatique. Un gage d’éfficacité et de solidité de la soudure. « C’est très important que le préchauffage soit bien fait, il faut une température précise pour que les pièces soient véritablement soudées et non simplement collées. » L’atelier a fini par être homologué au printemps mais après des mois de soudures non légales. « En août, l’ASN a fini par dire : ok, mais vous prenez la responsabilité de vos risques industriels. On risque que de ne pas accepter les pièces lors des contrôles à l’arrivée. » Depuis, l’ensemble des soudures posant problème ont été refaites, assure Bernard Salha, directeur de l’ingéniérie nucléaire d’Areva, présent lors de la visite du chantier. « C’est de la procédure, mais c’est directement lié à la sûreté du réacteur. » tient à souligner Yannick Rousselet.

Les pots cassés d’une première fois
L’affaire est donc corsée pour EDF. L’énergéticien n’a plus guère l’habitude de gérer de tels chantiers. Et ici, tout est neuf : il s’agit de la tête de série d’une nouvelle génération. Reste qu’une fois réussi, l’EPR servira de jalon pour tous les autres. "Nous allons construire un EPR tous les 18 mois pendant 15 ans." a déclaré Pierre Gadonneix. "Nous n’irons que dans des projets où on est pilotes, c’est sûr. Non seulement on veut piloter, mais on veut pouvoir capitaliser sur l’ensemble des EPR que nous construisons (...), nous allons construire des clones de Flamanville", a-t-il poursuivi. Gageons que les aléas, eux, ne seront pas clonés.

Ana Lutzky, le 19 décembre 2008


Un deuxième EPR à Flamanville ? C’est possible

Evoquant le projet de construction d’un deuxième EPR en France, annoncée par Nicolas Sarkozy début juillet, Pierre Gadonneix a expliqué qu’EDF y était favorable et serait ouvert à des partenariats dans ce cadre. Un décalage de 5 ans entre les deux projets est évoqué. « Nous souhaitions que le projet de Flamanville soit suffisamment avancé avant de passer à un deuxième EPR en France ». Ca tombe bien, le site de Flamanville - où deux réacteurs sont déjà en service - a la capacité d’accueillir un deuxième EPR.


Guerre fratricide avec Areva

La centrale EPR de Flamanville devrait être la deuxième de ce type à entrer en service dans le monde après celle d’Olkiluoto 3, en Finlande, dont Areva supervise le chantier. Cette dernière devait à l’origine démarrer en 2009 mais la date a été reportée à plusieurs reprises et sa mise en service devrait désormais intervenir en 2012. « Areva ne communique aucun retour d’expérience de son chantier finlandais à celui d’EDF à Flamanville » déplore Yannick Rousselet de Greenpeace, « alors qu’on voit bien qu’il ont les mêmes problèmes ».