Accueil > Revue de presse > Article Sciences et Avenir de mai 2002 sur la ville de Coutiches
Article Sciences et Avenir de mai 2002 sur la ville de Coutiches
jeudi 31 juillet 2008, par
Article de mai 2002 repris du site du VIF (Vitré Info Forum) et du site de Percy-sous-Tension. Merci à eux
Surdoses de champs magnétiques
Ville sous contrôle
Coutiches. Périphérie de Douai. Petite commune repeuplée par des habitants qui ont fui l’agitation des grandes villes du Nord. Un coin apparemment paisible qui a pourtant connu la tourmente. Flash-back.
Nous sommes lin des années 80 et EDF décide d’y installer une ligne à haute tension. L’ambiance est électrique ! Deux fois 400 000 volts vont surplomber certaines maisons. Mobilisation des habitants. EDF et riverains sont convoqués au ministère de l’Industrie. Une modification de la ligne est proposée pour épargner les maisons et faire passer les lignes au-dessus des champs. L’espoir ? C’était sans compter la résistance d’EDF.
Jean-Marie Provincial, un ancien habitant de la commune, raconte : « Modifier le tracé aurait créé un précédent. Ce qu’EDF voulait à tout prix éviter. Ils ont fait monter au créneau les agriculteurs dont les terrains allaient être traversés par le nouveau tracé. Au final, sous la pression, on a préféré protéger les champs plutôt que les habitations. »
La ligne est installée. Pour apaiser les tensions, EDF propose un protocole où elle s’engage à mesurer les champs électromagnétiques et faire effectuer, tous les six mois, ad vitam aeternam, un bilan sanguin à chaque habitant. « D’importantes dispositions pour une ligne qui n’était pas censée poser de problèmes », remarque Jean-Marie Provincial.
Signature du protocole. Ouverture de la ligne. Le calvaire des habitants commence alors. « Quinze jours après la mise en marche, des maux de tête sont apparus. Puis, l’herpès, l’eczéma, j’ai même eu un zona, se souvient Jean-Marie Provincial. Sans compter la fatigue chronique et les réveils nocturnes. »
Les habitants effectuent leurs premières prises de sang. Résultat : 45 % des riverains ont des carences en fer. Dans le même temps, des mesures ont révélé des champs magnétiques de 5 microteslas dans deux habitations. Certains habitants s’interrogent : « Y aurait-il un lien entre les carences enfer et les champs magnétiques ? » Quatre hommes décident de pousser plus loin l’investigation médicale. Parmi eux, Jean-Marie Provincial : « Nous sommes allés au CHU de Lille faire des examens. Un myélogramme à mis en évidence une surcharge en fer dans les cellules de la moelle osseuse. En revanche, une scintigraphie a révélé que des organes de réserve, comme le foie et la rate, n’avaient plus de stock en fer. Nous ne souffrions pas d’une carence mais d’une mauvaise répartition du fer dans l’organisme. »
Des résultats qui mènent Jean-Marie Provincial à s’interroger sur un voisin décédé en 1992. « Malgré ses 91 ans, c’était un homme en pleine santé qui n’hésitait pas à prendre sa voiture pour rendre visite à ses enfants à 50 km d’ici. Il vivait 24 h/24 sous la ligne, que ce soit dans son jardin ou sa maison. Lorsqu’il montait se coucher, il était à peine à 15 mètres des conducteurs. Plus tard, j’ai su par un médecin du. CHU de Lille qu’il était mort d’un myélome, une tumeur de la moelle osseuse. »
Jean-Marie Provincial poursuit : « En 1994, la compagnie d’électricité de l’Ontario, Hydro Québec et EDF ont publié une étude épidémiologique conjointe sur le risque de cancers liés à l’exposition professionnelle aux champs magnétiques de très basses fréquences entre 1970 et 1989. Une des conclusions de cette étude : les employés dont l’exposition cumulée aux champs magnétiques était supérieure à la médiane (3,1 microteslas multipliés par le nombre d’années) avaient un risque accru de leucémie myéloïde aiguë. Etonnant ! »
Las de ne pas être entendues, 21 familles quittent Coutiches. Les Provincial sont les derniers à partir en 1997. Finis, pour eux, les sommeils perturbés, les problèmes de peau et les carences en fer. Même constat chez les vingt autres familles.
Mais, aujourd’hui, de nouveaux habitants vivent à Coutiches. Attrait de la vie rurale ? Pas vraiment ! Les maisons rachetées par EDF ont d’abord été mises à la disposition des salariés de la compagnie. Des employés ont été engagés pour entretenir les pelouses des maisons inoccupées... il ne fallait surtout pas montrer que la zone était vide. Puis, il y a eu la revente à des prix défiant toute concurrence. Des maisons proposées au tiers de leur valeur, de quoi faire abstraction de la triste vue d’une ligne à haute tension.
Pour ce qui est des troubles de santé, nul ne semble s’en plaindre. « Les bilans sanguins ont été arrêtés. Selon le laboratoire, EDF ne payait plus les analyses », conclut Jean-Marie Provincial. Oubliés le principe de précaution et la politique d’enterrement des lignes prônée par EDF. Treize ans après, rien n’est réglé.
S. R.
SCIENCES ET AVENIR, Mai 2002
Article en pdf :